« Le post-partum, c’est un tsunami hormonal et émotionnel qu’on cache derrière des sourires » – Interview avec Dr. Marie Lelièvre, psychiatre périnatale
Dr. Marie Lelièvre est psychiatre spécialisée dans la santé mentale périnatale. Cheffe de service à la maternité des Lilas et auteure de « Mères invisibles » (Éditions Flammarion), elle accompagne les femmes dans leur transition vers la maternité. Nous l’avons rencontrée pour parler de cette période cruciale et trop souvent minimisée : le post-partum.
Effets Secondaires : Dr. Lelièvre, le post-partum reste un sujet tabou. Pourquoi cette période est-elle si mal comprise ?
Dr. Marie Lelièvre : Parce qu’on vend du rêve ! Les réseaux sociaux, les magazines, tout nous montre des mamans épanouies, rayonnantes 48h après l’accouchement. La réalité ? C’est un tsunami hormonal, physique et émotionnel. Mais ça, on n’en parle pas.
Le post-partum, ce n’est pas juste les « baby blues » des premiers jours. C’est une période qui peut durer jusqu’à deux ans ! Deux ans où le corps se reconstruit, où l’identité se redéfinit, où la relation de couple se réinvente. Mais socialement, on attend des femmes qu’elles « rebondissent » en quelques semaines.
Vous parlez souvent d' »effacement » de la femme derrière la mère. Que voulez-vous dire ?
Dr. Lelièvre : Dès la naissance, la femme disparaît. Tout le monde demande « comment va bébé ? » mais qui demande « comment tu vas TOI ? » La mère devient invisible, ses besoins passent au second plan. C’est violent.
Physiquement d’abord : les consultations post-natales se focalisent sur la cicatrisation, la contraception. Mais qui parle des douleurs dorsales, de l’incontinence, de la fatigue extrême ? Émotionnellement ensuite : on attend d’elles qu’elles soient dans la béatitude maternelle instantanée. Si elles expriment des difficultés, on les culpabilise.
Justement, parlons de cette culpabilité omniprésente…
Dr. Lelièvre : Elle commence dès la grossesse ! « Tu ne dois pas stresser, c’est mauvais pour bébé », « Tu ne manges pas assez de légumes », « Tu travailles trop »… Et après l’accouchement, c’est pire : « Tu n’allaites pas ? Mais c’est le mieux pour bébé ! », « Tu reprends le travail déjà ? », « Tu ne travailles plus ? Et ton épanouissement personnel ? »
Cette culpabilité est toxique. Elle empêche les femmes de verbaliser leurs difficultés, de demander de l’aide. Résultat : elles s’isolent, se renferment, développent parfois de véritables dépressions.
Quels sont les signaux d’alarme que les nouvelles mères ne doivent pas ignorer ?
Dr. Lelièvre : Alors, soyons concrètes. Les pleurs incontrôlables au-delà de 15 jours, l’absence totale de plaisir, les pensées intrusives concernant le bébé ou soi-même, l’impossibilité de dormir même quand bébé dort…
Mais attention aux idées reçues ! La dépression post-partum ne ressemble pas toujours à de la tristesse. Ça peut être de l’irritabilité extrême, de l’anxiété paralysante, un sentiment de déconnexion totale. Certaines femmes fonctionnent en « pilote automatique », s’occupent parfaitement de leur bébé mais se sentent vides à l’intérieur.
Et le fameux « instinct maternel » ?
Dr. Lelièvre : [Rire] Ah, cette injonction ! Non, l’instinct maternel n’existe pas. L’attachement à son enfant se construit, il n’est pas automatique. Certaines femmes tombent amoureuses de leur bébé instantanément, d’autres ont besoin de semaines, voire de mois. Et c’est normal !
Cette pression de l' »amour maternel immédiat » culpabilise énormément les mères. Elles n’osent pas dire qu’elles ne ressentent rien, qu’elles se sentent déconnectées de ce petit être. Pourtant, c’est fréquent et ça n’en fait pas de mauvaises mères.
Comment l’entourage peut-il mieux soutenir une nouvelle mère ?
Dr. Lelièvre : Arrêtez de demander « tu as besoin de quelque chose ? » et dites plutôt « je passe faire les courses demain, qu’est-ce qui te ferait plaisir ? » ou « je t’apporte un repas mardi ». L’action concrète, pas les bonnes intentions !
Et surtout, intéressez-vous à ELLE, pas seulement au bébé. « Comment tu te sens ? », « Tu as mal quelque part ? », « Tu arrives à te reposer ? » Ces questions simples peuvent faire toute la différence.
Vous militez pour une révolution du suivi post-natal. À quoi cela ressemblerait-il ?
Dr. Lelièvre : Il faudrait un suivi sur 6 mois minimum, avec une approche globale. Pas juste le gynéco qui vérifie que « tout cicatrise bien ». Un suivi psychologique systématique, un kinésithérapeute pour le périnée et les douleurs dorsales, un accompagnement à l’allaitement si souhaité…
Et former les professionnels ! Trop de soignants minimisent encore les difficultés post-natales. « C’est normal d’être fatiguée », « Ça va passer »… Non ! Il faut écouter, orienter, accompagner.
Que diriez-vous aux femmes qui vivent difficilement leur post-partum ?
Dr. Lelièvre : D’abord : vous n’êtes pas folles, vous n’êtes pas de mauvaises mères. Ce que vous vivez est réel et légitime. Le post-partum peut être un enfer, et c’est ok de le dire.
Ensuite : demandez de l’aide. À votre entourage, à des professionnels, à d’autres mères. Il existe des groupes de parole, des consultations spécialisées, des lignes d’écoute. Vous n’êtes pas seules.
Et enfin : prenez soin de vous. Ce n’est pas de l’égoïsme, c’est vital. Une mère qui va bien, c’est une famille qui va mieux. Votre bien-être compte autant que celui de votre bébé.
Un dernier message ?
Dr. Lelièvre : Il faut qu’on arrête de romantiser la maternité. Oui, ça peut être merveilleux, mais ça peut aussi être dur, très dur. Les deux ne sont pas incompatibles. On peut aimer son enfant et détester certains moments de la maternité. On peut être reconnaissante d’être mère et pleurer de fatigue.
La maternité, c’est complexe, nuancé, parfois chaotique. Et c’est normal. Il est temps qu’on l’accepte et qu’on accompagne vraiment les femmes dans cette révolution identitaire.
Ressources utiles :
- Ligne d’écoute Maman Blues : 01 42 21 28 32
- Application « Mon post partum » pour un suivi personnalisé
- Site PostPartum Support International : postpartum.net
- Groupes de parole : renseignements auprès de votre PMI locale
Propos recueillis par [Nom de la journaliste]
