« Il faut arrêter de minimiser la douleur des femmes » – Interview avec Dr. Sarah Bensoussan, gynécologue
Dr. Sarah Bensoussan est gynécologue-obstétricienne et spécialiste de la douleur pelvienne. Diplômée de la faculté de médecine de Paris, elle consulte à l’hôpital Tenon et milite pour une meilleure prise en charge de la santé féminine. Nous l’avons rencontrée pour parler de ces maux que trop de femmes subissent en silence.
Effets Secondaires : Dr. Bensoussan, vous dénoncez régulièrement le fait que la douleur des femmes est minimisée dans le milieu médical. Pouvez-vous nous expliquer ce phénomène ?
Dr. Sarah Bensoussan : C’est un problème systémique. Combien de fois j’entends « c’est normal d’avoir mal pendant les règles » ou « c’est dans votre tête ». La douleur gynécologique est encore trop souvent banalisée, y compris par certains de mes confrères. On dit aux femmes qu’elles sont « douillettes », qu’elles « dramatisent ». C’est inacceptable.
Prenons l’endométriose : en moyenne, il faut 7 ans pour poser le diagnostic. Sept ans ! Pendant ce temps, les femmes souffrent, consultent, se font dire que c’est « normal ». Elles finissent par douter d’elles-mêmes, par intérioriser cette douleur comme une fatalité.
Vous parlez souvent de « culture du silence » autour de la santé féminine. Comment cela se manifeste-t-il concrètement ?
Dr. Bensoussan : Dès l’adolescence, on apprend aux filles à se taire. Mal aux règles ? « Prends un Doliprane et tais-toi ». Douleur lors des rapports ? « C’est normal au début, ça va passer ». On normalise la souffrance féminine depuis des siècles.
Cette culture du silence a des conséquences dramatiques. Les femmes arrivent en consultation en s’excusant de « déranger », en minimisant leurs symptômes. Elles disent « ce n’est peut-être rien, mais… » alors qu’elles n’ont pas dormi de la nuit tellement elles ont mal.
Quels sont les symptômes que les femmes ne devraient jamais ignorer ?
Dr. Bensoussan : Alors, soyons claires : toute douleur qui impacte votre qualité de vie mérite d’être prise au sérieux. Règles douloureuses qui vous empêchent de travailler, de sortir ? Ce n’est pas normal. Douleur lors des rapports sexuels ? Idem. Saignements entre les règles, cycles très irréguliers après 20 ans…
Et je veux insister sur les infections urinaires récidivantes. Combien de femmes vivent avec ces cystites à répétition, prennent des antibiotiques en continu ? C’est un signal d’alarme, pas une fatalité.
Vous militez pour une médecine plus à l’écoute. Concrètement, comment une femme peut-elle s’assurer d’être bien prise en charge ?
Dr. Bensoussan : Première chose : faites-vous confiance. Si vous sentez que quelque chose ne va pas, insistez. Tenez un journal de vos symptômes, c’est précieux lors des consultations. Notez l’intensité de la douleur, les moments où elle survient, ce qui la soulage.
N’hésitez pas à demander un second avis si vous n’êtes pas satisfaite. Et surtout, ne vous excusez jamais de consulter. Votre douleur est réelle, elle mérite attention et solutions.
Parlons contraception. Beaucoup de femmes se plaignent d’effets secondaires mais hésitent à en parler…
Dr. Bensoussan : Ah, le fameux « c’est dans votre tête » appliqué aux effets secondaires de la pilule ! Baisse de libido, prise de poids, modifications de l’humeur… Ces effets sont réels et documentés. Mais on continue de dire aux femmes que c’est « psychologique ».
La contraception, c’est du sur-mesure. Ce qui convient à votre sœur ne vous conviendra peut-être pas. Il faut oser dire « cette pilule ne me convient pas » et explorer les alternatives. Stérilet, implant, patch… Les options sont nombreuses.
Vous évoquez souvent la « charge mentale » liée à la contraception. Pouvez-vous développer ?
Dr. Bensoussan : Pensez-y : qui se souvient de prendre la pilule tous les jours ? Qui prend rendez-vous chez le gynéco ? Qui gère les effets secondaires ? Les femmes, toujours les femmes. Cette charge mentale est épuisante et invisible.
Et quand il y a un « accident » contraceptif, qui culpabilise ? Qui porte la responsabilité ? Encore les femmes. Il faut que les hommes s’impliquent davantage dans la contraception. C’est l’affaire de deux personnes.
Que diriez-vous aux femmes qui nous lisent et qui souffrent en silence ?
Dr. Bensoussan : Votre douleur est légitime. Point. Vous n’êtes pas « faibles », vous n’exagérez pas. Votre corps vous envoie des signaux, écoutez-le.
Trouvez un soignant qui vous écoute, qui ne minimise pas vos symptômes. Cela peut prendre du temps, mais ces professionnels existent. Rejoignez des groupes de patientes, parlez-en autour de vous. Briser le silence, c’est le premier pas vers la guérison.
Et surtout, n’abandonnez jamais. Votre santé vaut tous les combats du monde.
Pour en savoir plus :
- Site de l’association EndoFrance : endofrance.org
- Consultations douleur pelvienne : renseignez-vous auprès de votre centre hospitalier
- Application « Clue » pour suivre votre cycle menstruel

